Le Roman de la bibliothèque

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Le Roman de la bibliothèque

Dans ses Essais, Montaigne avait ­ouvert la voie à la rêverie : « Je déambule souvent dans la bibliothèque en ne pensant décidément à rien. » Il suggérait l'idée, presque insolente, qu'une bibliothèque privée, comme toutes celles qu'étudie Daniel Ménager dans ce livre magnifique, n'était pas qu'un lieu obscur, consacré à la prolifération des livres, à l'aridité d'un savoir clos, asphyxiant par la densité des reliures. On devine pourtant que Daniel Ménager n'a pas fait que rêver en explorant la façon dont les auteurs du XIXe et du XXe siècle ont évoqué les bibliothèques, moins pour en faire la description photographique que pour les recomposer et les réinventer.

Voici donc tous ceux qui en parlent : Julien Gracq, Georges Perec, Jorge Luis Borges ou John Cowper Powys, auteurs qui multiplient les visions d'une pièce parfois secrète, toujours intime, dont les contours varient autant que les pensées qui y trouvent refuge. Les bibliothèques de ce livre sont toutes différentes. Si elles participent de l'otium, ce plaisir bourgeois et studieux qu'on imagine se déployer dans les boiseries, elles varient selon les humeurs de leur propriétaire. La bibliothèque d'un personnage d'Anatole France peut avoir six fenêtres, celle d'un autre, de Henry James, se contente d'une large lucarne. La lumière peut être docile pour choyer la solitude, encourager la mélancolie ou favoriser la reconquête de soi.

Certaines bibliothèques contiennent les trésors d'une vie passée, comme celle du capitaine Nemo de Jules Verne, d'autres sont curieusement absentes, puisque Proust reste discret sur la sienne, pour ne décrire que celle de Swann.

Quant à leurs occupants, ils sont essentiellement masculins, Mathilde de La Mole entrant presque par effraction dans celle où lit Julien, dans Le Rouge et le Noir, de Stendhal. Il faut voyager dans les bibliothèques du livre de ­Ménager avec un crayon pour noter toutes les lectures qu'il convoque. Au fil des pages, les thèmes se dessinent, les ambiances jouent avec les couleurs du jour ou de la nuit, et les songes se teintent de méditation. Regardons le petit bonhomme qui deviendra Cendrars se plonger, allongé dans la bibliothèque de son père, dans la Géographie universelle d'Elisée Reclus, et ne refusons pas l'idée que cet espace de culture puisse aussi, parfois, être celui où naissent les désirs charnels.

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