Le Meilleur

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Le Meilleur

« Je n'ai jamais su, ou jamais osé, l'appeler Bern. Alors j'en suis restée à Maestro, et cela paraît approprié […] parce qu'il est, et restera toujours l'un de nos maîtres », écrivait la romancière Cynthia Ozick, rendant hommage à Bernard Malamud (1914-1986) au lendemain de sa disparition (1) . Si le nom de Bernard Malamud ne rencontre guère d'écho de ce côté-ci de l'Atlantique, il n'en est pas de même aux Etats-Unis, où il figure parmi les auteurs phares de ce qu'on appelle « l'école de New York », à l'égal d'un Saul Bellow, son exact contemporain, ou d'un Philip Roth, son cadet de vingt ans, auquel le liait une affection parfois contrariée, mais toujours mêlée d'admiration profonde. « Est-il un maître de la littérature américaine ? Bien sûr. Il n'a pas fait qu'écrire en américain, il a donné à cette langue une plasticité nouvelle, il a remodelé notre anglais, l'a reconfiguré de façon surprenante. Est-il un maître de la littérature juive ? Bien sûr », poursuivait Cynthia Ozick. A ceux qui ne comprenaient pas pourquoi lui préférait ne pas se voir apposer cette étiquette d'écrivain judéo-américain « schématique et réductrice », il avait répondu de vive voix, dix ans avant sa mort, dans la Paris Review : « Je suis un Américain, je suis un juif, et j'écris pour tous les hommes. Un romancier le doit, sinon il construit lui-même sa cage… »

Ses parents – des gens « doux, honnêtes, bienveillants », qui « n'avaient pas d'éducation mais dont les valeurs étaient solides » – avaient quitté la Russie pour les Etats-Unis ; lui était né à Brooklyn et y avait grandi, dans une atmosphère au fond pas si différente de celle du shtetl originel, jouant dans les rues de ce Yiddishland du Nouveau Monde, écoutant la radio dans l'arrière-boutique de la petite épicerie familiale, assistant régulièrement à des représentations théâtrales en yiddish dans les modestes salles du Lower East Side. Découvrant bientôt aussi le cinéma et les premiers films de Chaplin, marqué à jamais par le personnage de Charlot, sa malchance répétitive et sa « drôlerie mêlée de tristesse » –, marqué comme il l'avait été jadis par les contes ashkénazes de Cholem Aleichem, et comme il le serait plus tard par les récits fantastiques et/ou mystiques de Hawthorne, Poe et Henry James, les climats prégnants de Dostoïevski et de Tchekhov.

Cette atmosphère d'enfance a inspiré à Bernard Malamud l'un de ses romans les plus connus, Le Commis (The Assistant, 1957), ainsi que le décor de quelques-unes des nombreuses nouvelles qu'il a écrites, regroupées notamment dans Le Tonneau magique (The Magic Barrel, 1958) – dont la critique américaine a souvent rapproché l'univers de celui de Chagall. Est-ce la complexité de cette ascendance, de ces inspirations, ces images et ces thématiques emmêlées – ce qui fait la littérature juive – qui a tenu le lecteur français éloigné des écrits de Bernard Malamud, pourtant traduits dès les années 1960 ? Toujours est-il que c'est comme une parfaite découverte, ou presque, que s'offre aujourd'hui à lire L'Homme de Kiev (The Fixer, 1966, National Book Award et prix Pulitzer en 1967), sombre et baroque fable politique et métaphysique mettant en scène, dans la Russie tsariste du début du xxe siècle, le destin dramatique d'un artisan juif, accusé du meurtre rituel d'un enfant chrétien et jeté aux fers.

D'apparence plus réaliste, ancré de plain-pied dans la culture américaine, Le Meilleur (The Natural, 1952), le premier roman de Bernard Malamud, est lui un authentique inédit en français. Malamud y suit la destinée du dénommé Roy Hobbs, jeune prodige du base-ball qui se voudrait le meilleur joueur de toute l'histoire de ce sport, mais dont l'ascension est perpétuellement contrariée par des circonstances qui lui font frôler le déclin, et même la chute. Il y a de la magie dans l'histoire de Roy Hobbs, dont la batte de bois blanc semble un avatar contemporain d'Excalibur, l'épée de la geste arthurienne ; il y a de la trivialité aussi, de la violence ; enfin, il y a énormément de dérision et d'ironie dans la façon dont le romancier s'attache à mettre à mal le rêve américain – de réussite, de prospérité.

Le Meilleur n'est sans doute pas le chef-d'œuvre de Bernard Malamud, mais c'est un beau roman qui intrigue et attache – jalonné, qui plus est, de moments d'étrangeté inattendus et d'une vraie beauté. Il fut le premier jalon de l'itinéraire d'un grand écrivain qui professait qu'« inventer des histoires […] n'est pas une mauvaise façon d'habiter la solitude humaine ».

 

Extrait
« – Allez lance, blanc-bec, avertit le Bolide.
Sam s'arc-bouta, main gantée : Refais-nous ça, Roy. Remets-lui-z'en une couche.
[…]
Roy fit une flexion, arma et lança.
Le batteur vit une planète à révolution lente s'approcher de la Terre. Pendant une bonne année-lumière, il attendit que ce globe entre dans l'orbite de son swing pour pouvoir l'exploser, le réduire en miettes qui iraient se déposer avec la poussière et les feuilles mortes au fond du cosmos. Enfin, l'oeil aveugle, boule de cristal d'une diseuse de bonne aventure, combinaison singulière de cercles, entra à portée de son arme, ou du moins c'est ce qu'il crut, parce qu'il se jeta dessus férocement, en tournant comme une toupie. Il se retrouva à genoux ; par-dessus sa tête flottait la balle-monde, qui vint atterrir avec un bruit mat dans la caverne du gant de Sam. »

 

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