Le Grand Paon-de-nuit

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Le Grand Paon-de-nuit

Ce ne sont pas tant des « nouvelles » qu’écrit Marcel Cohen que des traces fulgurantes, des éclats, des clignements d’yeux. Ou des battements d’ailes de papillon, comme l’indique le titre du premier recueil, Le Grand ­Paon-de-nuit (le livre en contient trois, tous déjà édités par le passé, mais de ­façon tellement confidentielle qu’il fallait redonner d’urgence un espace à ces cris et chuchotements). Limpidité, pudeur, clairvoyance : l’écriture de Marcel Cohen élague le réel de ses contours broussailleux, pour laisser resplendir le for intérieur. C’est l’effet paon-de-nuit, suffisamment rare dans la vie d’un lecteur pour que le démiurge qui l’opère réponde à la définition que Cioran donnait de l’écrivain majeur : « l’ami des heures difficiles ».

Lorsqu’en fin de livre les noms de Georges Perros, Edmond Jabès ou Nathalie Sarraute sont lâchés, on comprend pourquoi on se sent en si bonne compagnie avec Marcel Cohen : il fait partie de la famille des discrets éclaireurs, des randonneurs intérieurs, des sculpteurs d’essences et de silences, auxquels on pourrait ajouter Charles Juliet. Contenues en une phrase, parfois en un paragraphe, voire en une page quand l’auteur prend ses aises, les réflexions les plus fines et les plus intenses imposent leur vérité. Des histoires de transparence, d’indifférence, d’appartenance, où la honte, la peur, la souffrance engendrent tour à tour le recroquevillement ou la rêverie.

Ces microfictions commencent ­souvent par « un homme », anonyme, universel, et pourtant si particulier, si intime, aux prises avec son statut de ­vivant dans un espace infini qu’il n’a de cesse de circonscrire, de rapetisser, observant un coquelicot par la fenêtre d’un train, une abeille au sommet d’une falaise, le reflet d’une femme dans la ­vitrine d’un boulanger. Cet « homme » a beau prendre de multiples apparences, aborder les vendeuses en parlant d’une amoureuse imaginaire qu’il voudrait combler d’un cadeau, se faire tatouer un vers de Celan sur l’épaule, ou rechigner à aboyer sur son chien, il renvoie sans cesse à l’auteur. Cet « homme », c’est Marcel Cohen, un écrivain que l’humilité a propulsé dans des sphères lointaines, inexplorées, et qui se détache soudain dans la lumière, au vu de tous. Avant de s’en retourner dans la nuit, pour retrouver, « à l’extrême pointe du sens, la barrière retombée du silence, le souvenir douloureux de ce qui devait être dit ». Profitons donc de cette exposition au grand jour pour s’en saisir et s’en nourrir.

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