Le Dernier Voyage de Soutine

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Le Dernier Voyage de Soutine

L’homme n’est pas mort encore, mais abruti de morphine, ballotté dans le fourgon mortuaire qui se dirige vers Paris. Il est peintre et s’appelle Chaïm Soutine (1893-1943). Il souffre d’un ulcère et, pour se faire opérer, prend le risque de rejoindre la capitale occupée par les ­Allemands. Nous sommes en 1943. Soutine, qui a quitté son shtetl de Biélorussie depuis des décennies, n’a fait depuis que peindre et crever de faim. Reconnaissant envers la France qui l’a accueilli, il s’était porté volontaire pour creuser des tranchées pendant la Première Guerre, mais avait été écarté en raison de son état de santé. Ensuite, il a erré de refuge en refuge, à la Ruche ou à la cité Falguière. Habitué du Louvre, où il admire les paysages de Corot ou le boeuf écorché de Rembrandt, Soutine est à la recherche des couleurs et de ce qu’elles traduisent. Naguère, il récupérait des carcasses d’animaux morts pour saisir ce que les autres ne voient pas. Il n’était pas d’humeur facile, agoraphobe, perclus de douleur sous ­l’effet de l’ulcère, peu bavard même avec ses amis, comme Modigliani. Ses toiles, il les brûlait, les déchirait, ou alors les ­effaçait pour repeindre encore.

Dans ce corbillard, la tête chahutée par les drogues et les souvenirs, Soutine revoit tout : les docteurs, les femmes, Montparnasse et ses cafés, le Dôme, la Rotonde, la Coupole, repères pour les peintres qui y troquaient un dessin tracé à la hâte contre un verre d’alcool. Soutine peignait des portraits de guingois, des paysages tordus dont les couleurs n’étaient que rarement promesses de bonheur. Dans ce roman, Ralph Dutli plonge dans les rêves et les cauchemars de l’artiste. Il suit les méandres de la vie d’un homme torturé et isolé parmi une humanité qui est assassinée. Ceci n’est pas une biographie mais une itinérance, majestueuse et poétique, dans les couleurs et les pensées d’un homme en quête de ce que lui seul ­pouvait comprendre. — Gilles Heuré

 

Soutines letzte Fahrt, traduit de l’allemand (Suisse) par Laure Bernardi, éd. Le Bruit du temps, 270 p., 24 €.

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