L’histoire, au début, paraît assez simple. On y plonge avec délice, tant l’auteur est au niveau de sa réputation. Redoutable conteur, James Meek manie l’humour et l’ironie avec une rare subtilité. Et l’on se réjouit d’avoir en main ce livre à l’épaisseur confortable, aux pages denses, piquantes, enlevées par un formidable esprit de légèreté.
Le roman commence ainsi par la mise en scène d’un frère et d’une soeur. Côté sombre, Ritchie, ex-rock star reconvertie dans la télé bas de gamme pour ados boutonneux. Egocentrique, menteur, il trompe joyeusement sa femme avec une gamine de 15 ans. Côté lumière, Rebecca, dite Bec, brillante scientifique, engagée corps et âme dans la lutte contre le paludisme. Le propos, évidemment, est loin d’être aussi simple et manichéen. Chacun va bientôt être soumis à un dilemme moral quand l’ex-ami de Bec, directeur d’un magazine people, décide de se servir des faiblesses du frère pour atteindre la soeur. Et le texte, alors, ne va cesser de prendre de l’ampleur, multipliant les personnages, les pistes et les intrigues à la manière des romans russes du xixe siècle.
Meek tient tous les fils d’une main très sûre, les croise et les recroise, les tend jusqu’à la rupture, le texte s’accélérant, de plus en plus urgent, empruntant bientôt les ressorts du suspense, à tel point que Philip Pullman, l’auteur d’A la croisée des mondes, a pu le qualifier de « thriller moral ». Car c’est bien cette question de la morale qui est au coeur de ce singulier roman. Que deviennent les codes et les valeurs dans notre monde post-chrétien ? Qui décide du Bien et du Mal quand les références religieuses sont de moins en moins partagées et que la société peine à les redéfinir ? Saga virtuose, satire sociale, conte moral, méditation sur la mort et le temps, Le Coeur par effraction tranche par son ambition. Et sa maîtrise parfaite. — Michel Abescat
The Heart broke in, traduit de l’anglais (Ecosse) par David Fauquemberg Ed. Métailié 528 p., 21 €.
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