L’Aile brisée

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L’Aile brisée

Pour Antonio Altarriba, l’inspiration est affaire de fracture, de deuil et de violence. Après L’Art de voler (2011), où l’auteur espagnol retraçait, après le suicide de son père, la vie de ce républicain rescapé de la guerre civile, L’Aile brisée complète le diptyque familial. Au décès de sa mère, il découvre qu’elle a toujours été paralysée du bras gauche, ce dont ni lui ni son père ne s’étaient jamais rendu compte. Une anicroche, un brin de laine qui dépasse de l’écheveau maternel ­pourtant lisse et irréprochable. Avec ce fil d’Ariane, d’un témoignage à l’autre, le fils unique tisse une étonnante tapisserie : le destin de sa mère épouse tous les contours et les parts d’ombre de l’histoire récente espagnole. En suivant Petra, née au début du xxe siècle dans un village agricole de la province de Zamora, Altarriba dévoile la grande misère des campagnes d’alors, les ­esprits étriqués, le viol, la religion qui persuade, force, manipule et pèse comme un couvercle. Domestique dans la maison d’un dignitaire du régime, très pieuse, sa mère traverse sans les combattre ni s’y commettre les années plombées du franquisme, où secrets, complots, dénonciations et exécutions sommaires sont le lot quotidien.

Pas de révolte, pourtant, devant les privilèges et les turpitudes, la distance quasi féodale qui sépare les puissants des humbles. Petra n’est pas Célestine, la narratrice du Journal d’une femme de chambre de Mirbeau. La valeur documentaire de L’Aile brisée est tout autre. Altarriba et le dessinateur Kim montrent les gens de peu, et particulièrement ces femmes tout au bas de l’échelle sociale, sans autre horizon que la servitude, le linge et les tâches ancillaires. Des pages qui, tout en évoquant une époque pas si lointaine, laissent une impression suffocante. Certes, la Movida n’a pas tout résolu au-delà des Pyrénées, mais au moins les gens peuvent-ils à nouveau respirer. — Stéphane Jarno

 

El Ala rota, traduit de l’espagnol par Alexandra Carrasco, Denoël Graphic, 264 p., 23,50 €.

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