Un soir d’avril 2016, sur la scène de la Maison de la poésie à Paris, Laurence Nobécourt a osé ce qu’elle s’interdisait depuis toujours. Assise devant une petite table, elle a retiré ses sandales à talons avant d’étaler ses pieds nus sur le sol. S’enraciner pour mieux s’élever : la précaution lui a donné des ailes, et Le poème perdu a jailli de sa bouche. Un texte fleuve magnifique, ambitieux, surgi de ses tréfonds. L’aboutissement d’années de camouflage, de peur, de sentiment d’illégitimité face à la poésie. Jusqu’alors, l’auteure se cachait derrière un poète japonais inventé de toutes pièces, dont elle citait des vers de son cru dans la presse, ou même dans ses romans. Comment Yazuki est-il né dans son esprit ? Et s’il vivait vraiment, étoile lointaine brillant dans la même constellation qu’elle ? A la fois joueuse et intuitive, Laurence Nobécourt enquête sur cette énigme.
Elle profite d’un voyage au Japon pour traquer ce double, chercher à qui elle a pu emprunter ce masque, guidée par une force incontrôlable. Et là, miracle, la découverte de l’existence réelle de Yazuki lui apparaît comme « un signe, un hiéroglyphe, une reconnaissance, le visage d’une prophétie qui s’accomplit ». Q<uand elle apprend qu'à l'autre bout du monde ce pseudonyme sert de refuge à une autre plume en perte de confiance, Laurence Nobécourt se penche au-dessus de l'abîme, et saute.
En apesanteur permanente, et pourtant solidement ancré dans la réalité, ce nouveau livre raconte cette chute ascensionnelle. Les noms d’emprunt, les armures-passoires, les cache-misère nécessaires puis délétères, l’ancienne Lorette connaît. Elle sait qu’ils risquent d’absorber leurs porteurs jusqu’à disparition complète. Tout son travail littéraire est une entreprise d’apprivoisement de soi, de traque de l’invisible, de veille des âmes, pour atteindre la vérité des êtres. Car peu importe que son expédition japonaise soit véridique ou non, seule compte la force élévatrice de la littérature, qui toujours chez elle rapproche de l’essentiel, avec audace et acuité. — Marine Landrot
Ed. Grasset, 160 p., 14,90 €.
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