La Sainte Famille

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La Sainte Famille

Téléphoner dans une maison vide, en toute connaissance de cause, parce qu’elle veut parler aux rideaux orange, à la gerboise empaillée, à la table de nuit en Formica. Voilà ce dont Suzanne est capable. Et voilà une belle ouverture de roman, à la fois stridente et ouatée comme dans un rêve. Un simple coup de fil, et la pelote intime de la jeune femme se déroule par à-coups, laissant apparaître les noeuds serrés, durs comme des cailloux, de son enfance aux aguets. Suzanne passait ses vacances dans cette maison de famille quand elle était petite, ou plutôt quand elle était grande car Florence Seyvos a toujours eu l’art de l’inversion des rôles, et des personnages tapis dans les coins, fondus dans le décor, caméléons transparents et omniscients. Elle aime orchestrer les combats entre chiens et loups, où s’affrontent en silence enfants faussement soumis, mais vraiment meurtris, et adultes immatures, capricieux et craintifs, dévastés par le pouvoir que l’âge leur impose.

Dans son précédent livre, Le Garçon incassable, la romancière montrait comment un enfant handicapé pouvait être aussi souple et intrépide que Buster Keaton. Cette fois, elle suit le regard implacable d’une fillette passe-muraille, confrontée à la violence multiforme des êtres qui l’entourent. Le mot « porte » revient très souvent dans ce roman sur la porosité d’une enfant qui cherche à établir son territoire mais se voit sans cesse piétinée, balayée, éjectée, ou, au contraire, assiégée, envahie, submergée par des proches en proie à la même obsession qu’elle : maintenir un périmètre de sécurité pour survivre. L’héroïne a du mal à dire « je », au point même de laisser parfois son frère raconter leurs souvenirs, au gré de changements de points de vue dans le récit, imperceptibles et troublants. C’est la marotte de Florence Seyvos, qui s’était déjà amusée à ce jeu de chaises musicales narratives dans son dernier livre.

Laisser les autres s’approcher ou leur faire barrage ? Suzanne tranche en se réfugiant sur un terrain de liberté absolue : les pensées. Florence Seyvos multiplie les incursions acérées dans le cerveau-caveau de son personnage, où se mitonnent coups bas et actes de bienveillance qui ne verront jamais le jour, projets mort-nés qui la maintiennent en vie. Etre spectatrice de sa propre existence, la commenter in petto jusqu’à l’assourdissement intérieur, telle est la technique de Suzanne pour meubler sa peur du vide. Florence Seyvos donne le meilleur de son écriture dans ces paroles secrètes d’une grande acuité. — Marine Landrot

 

Ed. de l’Olivier, 176 p., 17,50 €.

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