La Maison des souvenirs et de l’oubli

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La Maison des souvenirs et de l’oubli

L’homme a beau se boucher les oreilles avec les mains, rien n’y fait : le bruit obsédant d’un train ne cesse d’envahir sa tête. Il était encore enfant quand il a échappé de justesse à la déportation. Il est serbe, il est juif — et il s’interrogera sur ce qu’est être juif au regard des autres. Le train qui roule et dont le son l’obsède, c’est celui qui conduit aux camps de la mort, mais aussi celui de l’Histoire.

En 2004, lors d’un colloque qui réunit, à New York, d’anciens rescapés sur le thème « Crimes, réconciliation, oubli », des hommes se retrouvent et tentent de partager leurs souvenirs. Ceux qu’ils ont voulu oublier mais dont ils savent qu’ils ne doivent pas disparaître pour que l’on sache. L’intitulé du colloque suffit-il à résumer ce dont il fut question ? Pour l’un des participants, c’est au-delà des mots et des concepts qu’il faut chercher pour élucider l’Holocauste. La thèse sur la banalité du mal de Hannah Arendt ne convainc pas ceux qui en réchappèrent. Le mal fut d’une telle ampleur que le réduire aux circonstances historiques est insuffisant : c’est un démon enfoui dans chaque homme, dans une région inaccessible à l’entendement, qui invalide les concepts de pardon ou de châtiment.

Dans ce texte puissant, les récits s’enchaînent, terribles : un père qui creuse un trou entre les lattes du wagon à bestiaux et y glisse ses deux fils pour qu’ils survivent ; une fille de 16 ans, cachée dans une cave par son concierge, qui la viole et lui fait un enfant qui ne verra la lumière du jour que trois ans plus tard ; ou encore ce vieux Juif qui collectionne les faits divers pour comprendre « les multiples formes du mal ». Parfois, il fallait rêver, imaginer, comme dans un tableau de Chagall, que l’on pourrait voler pour fuir l’Histoire. Filip David, né en 1940, parvient pudiquement à trouver les mots pour évoquer ce qui fut à jamais une « lettre écarlate » dans la chair des survivants. — Gilles Heuré

 

Kuca secanja i zaborava, traduit du serbe par Alain Cappon, postface de Marc-Alain Ouaknin, éd. Viviane Hamy, 196 p., 18 €.

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