La Fabrique du Paris révolutionnaire

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La Fabrique du Paris révolutionnaire

Que de bruits dans ce Paris du xviiie siècle ! Des gamins crient dans les rues, des hommes jouent aux quilles quand les quinze mille voitures ne les obligent pas à s’adosser prestement aux murs ; les femmes font la queue aux fontaines, propagent les rumeurs, et tous peuvent se repérer aux sons des cloches des églises ou des monastères. Près du cimetière des Innocents, on se plaint des émanations putrides des corps en décomposition, et aux Halles les tanneries ne sont pas en reste pour empuantir l’atmosphère. Parfois, une émeute éclate : contre un boulanger, quand la miche de pain de 4 livres passe à 14 sous, ou quand les corporations des serruriers, des cordiers ou des merciers entendent défendre leurs droits…

Le Paris du xviiie siècle, qu’avaient magnifiquement exploré Arlette Farge ou Daniel Roche, vient de s’enrichir d’un nouvel historien. L’Australien David Garrioch, professeur à Melbourne, a repris tous les travaux et archives pour envisager l’histoire de la ville sur un siècle, de 1700 à 1800. Les silhouettes et les personnages y sont vivants, mais Garrioch n’abdique pas devant l’étude plus systématique des couches sociologiques, des corporations et des catégories sociales. Les marchands, les nobles, les manouvriers, les pauvres sans travail ou les négociants composent des classes qui évoluent et se transforment. Si les lampes à huile remplacent peu à peu les chandelles de suif au cours du siècle, modifiant les ombres et la forme des immeubles, les mentalités se transforment, elles aussi. Les progrès de l’alphabétisation, les pamphlets qui circulent ici ou là, les rodomontades des jansénistes et les doutes émis sur les miracles comme sur la divinité du roi nuancent les croyances politiques et le climat religieux.

Dans ce livre fascinant, on entend les sabots des chevaux et les roues des charrettes qui défilent dès l’aube dans les rues, mais on assiste aussi aux mutations d’une ville, à ses embouteillages sur les ponts ou à ses travaux de voierie. L’ombre de la Révolution, dont on dit parfois, abusivement, qu’elle fait basculer de l’époque moderne à l’époque contemporaine, plane forcément sur ce livre. Mais ce qui intéresse David Garrioch est bien de cerner ce qui change dans la vie de la ville et de ses habitants sur ce long xviiie siècle, un Paris « révolutionné » avant d’être révolutionnaire. — Gilles Heuré

 

The Making of Revolutionary Paris, traduit de l’anglais (Australie) par Christophe Jaquet Ed. La Découverte 440 p., 26,50 €.

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