La Condition numérique

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La Condition numérique

Si l’on en croit la théorie de la singula­rité popularisée par Ray Kurzweil, il ne reste plus qu’une douzaine d’années de supériorité de l’homme sur la machine. Il suffit de regarder autour de nous pour vérifier que ce mouvement est en marche. Même si tout va très (trop) vite, l’Homo sapiens n’est pas pour autant ­devenu Homo numericus, comme nous le rappellent Bruno Patino et Jean-François Fogel, auteurs de La Condition numérique. Ce qui a changé selon eux, c’est « le temps de la connexion permanente », c’est « le réseau devenu message ».

Les auteurs s’intéressent à la manière dont l’homme se forge sa place dans ce temps qui accélère. Ils dressent une trajectoire qui se dessine avant même le numérique. Pour ce faire, ils citent des philosophes ou sociologues qui n’ont pas connu Internet et dont les écrits restent pourtant pertinents. Une anecdote du livre montre d’ailleurs que Twitter n’a rien inventé. En traquant l’auteur d’un texte critique à son égard, Louis XV se rend compte qu’il n’y en a pas qu’un, mais une multitude, chacun ayant ajouté sa propre touche au texte initial. Du contributif avant les outils modernes, qui radicalisent, eux, l’évolution des rapports entre texte et auteur. « La triple faculté de publier, de lire ceux qui publient et de republier des tiers place chaque internaute dans une position sans précédent », constatent Patino et Fogel. Au final, c’est le réseau qui façonne le monde réel et non l’inverse. L’écrivain Mario Vargas Llosa avait déjà pointé qu’Internet n’est pas seulement un outil : « C’est un ustensile qui devient une prolongation de notre propre corps, de notre propre cerveau, qui lui aussi, de façon discrète, s’adapte peu à peu à ce nouveau système d’information et de pensée, en renonçant peu à peu aux fonctions que ce système réalise pour lui, et parfois mieux que lui. »

Ce système que l’homme est en train de mettre en place par ses nouveaux comportements, Eric Sadin le décortique dans L’Humanité augmentée, l’administration numérique du monde. Cet essai brillant et pointu démontre comment nous sommes en train de laisser une part de notre pouvoir de décision à des flux électroniques intelligents. Pour Eric Sadin, « le concept moderne d’humanité entendu comme un ensemble propre, transhistorique, évolutif et a priori libre de sa destinée s’est fissuré au profit de l’émergence d’un composé organico-­synthétique, repoussant toute dimension absolument souveraine et autonome ». Au final, on voit émerger « une gouvernementalité algorithmique », « une politique de la technique, caractérisée par la seule intelligence du temps présent et du futur immédiat ». L’homme ne gère plus, il délègue. En témoigne son attachement fétichiste à son smartphone de­venu « un tout sans trou, appelé à couvrir l’intégralité des séquences de la vie quo­tidienne ». Au minimum s’installe une « humanité parallèle » chargée de prendre en main une bonne part de nos vies. Un réseau froid, calculateur, dépourvu de sentiment et de conscience. Pour le moment.

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