Justice

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Justice

Vous êtes aux commandes d’un tramway emballé. Vous ne parvenez plus à freiner. Sur les rails juste en face de vous, cinq cheminots travaillent. Sur une autre voie, légèrement sur la droite, un seul ouvrier s’affaire. Que faire ? Tuer cinq personnes ou dévier l’engin pour n’en tuer qu’une ? Sacrifier une vie pour en sauver quatre semble être une bonne option… Autre possibilité : vous assistez à la scène, cette fois-ci en tant que témoin, depuis un pont. A vos côtés se tient un homme très corpulent — au point que, si vous le poussiez par-dessus la rambarde, il pourrait atterrir sur les rails, stopper la course folle du tramway et épargner les cinq ouvriers… L’arithmétique est la même (sauver quatre existences) et, pourtant, le second scénario semble plus immoral que le premier. Pourquoi ? La justice est-elle une affaire de calcul ou de principe ?

Cette petite histoire est l’un des dilemmes moraux dont regorge Justice, le best-seller du philosophe américain Michael Sandel, traduit en une trentaine de langues et vendu à plus de 3 millions d’exemplaires dans le monde. Ce professeur, qui enseigne la philosophie politique et morale à Harvard depuis 1980, a élaboré, au fil des années, la forme de ce cours sur la justice diffusé à la télé et devenu un hit planétaire, notamment en Asie. Pédagogie et humour, détection du sens civique dans les pratiques sociales, allers-retours entre histoire de la philosophie et enjeux du monde contemporain (inégalités, emballement des marchés financiers, mariage entre couples du même sexe, mères porteuses, etc.), dessinent les lignes de force de Justice.

« Revenus et patrimoines, devoirs et droits, pouvoirs et opportunités, positions et honneurs. Une société juste est une société qui répartit ces biens comme il convient ; elle donne à chacun ce qui lui est dû. L’affaire se complique quand on cherche à déterminer ce qui est dû et pourquoi », synthétise Michael Sandel. Trois grandes conceptions de la justice s’affrontent ici : la première, utilitariste, s’attache à maximiser le bonheur du plus grand nombre ; la deuxième, ­libérale, veut défendre les libertés et les droits individuels (1) ; la troisième, communautarienne, cherche à promouvoir la vertu et la vie bonne. C’est cette troisième voie (inspirée par Aristote mais décriée par la modernité qui peut la juger autoritaire) que cherche à réhabiliter Sandel. Notions confondues dans un même mot en anglais (« right »), le bien prime parfois sur le juste. — Juliette Cerf

 

(1) Voir le dernier livre de Ruwen Ogien, penseur libertarien de gauche, défenseur d’une éthique minimale, Mon dîner chez les cannibales, éd. Grasset, 320 p., 19 €.

 

Justice. What’s the right thing to do ?, traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Patrick Savidan, éd. Albin Michel, 416 p., 21,50 €.

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