JFK, Le Dernier Jour

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JFK, Le Dernier Jour

Auteur notamment d’une nouvelle intitulée L’Assassinat de John Fitzgerald Kennedy considéré comme une course automobile en descente, d’une autre titrée Plan pour l’assassinat de Jacqueline Kennedy, l’écrivain britannique J.G. Ballard estimait que la mort brutale du 35e président des Etats-Unis avait réintroduit une forme de magie — fût-elle très noire —, une part de merveilleux, dans un monde contemporain parfaitement désenchanté. Expliquant de cette façon la fascination durable exercée par cet événement : l’assassinat par balles de John Fitzgerald Kennedy, le 22 novembre 1963, à Dallas, attribué au dénommé Lee Harvey Oswald. La dimension mythique, fabuleuse, de ce moment historique fut d’ailleurs très vite diagnostiquée. La mort de Kennedy, écrivait John Updike dans le New Yorker dès décembre 1963, était dépourvue de tout objectif politique précis ; elle était « un symbole », « un présage », « un sacrifice » consenti « aux puissances aveugles du crime et de la folie qui minent notre ­civilisation ». Le même magazine analysant que « par sa mort, [Kennedy] a semblé incarner la force de la Raison elle-même, abattue par les forces sauvages et incontrôlables du Chaos ». (1)

Un mythe était né, qui a résisté à la désacralisation de l’icône JFK — dont nul n’ignore plus désormais le cynisme et les turpitudes sexuelles, et dont le ­bilan politique a été réévalué, plutôt à la baisse —, pour continuer de hanter les esprits, motif tragique et obsédant pour nombre d’écrivains américains majeurs, de Norman Mailer (Oswald, Un mystère américain) à Stephen King (22/11/63), en passant notamment par James Ellroy (American Tabloid) et Don DeLillo (Libra, Outremonde). Lequel a expliqué que l’événement de Dallas l’avait littéralement « inventé » comme écrivain, que toute son oeuvre romanesque tourne autour de ce « centre obscur qu’est l’assassinat » et puise sa part d’ombre « à la confusion et au chaos psychique » provoqués par la mort de Kennedy, il y a tout juste cinquante ans.

Toutes ces réflexions, ces analyses, François Forestier les connaît, les a lues et assimilées. Comme il a lu les innombrables biographies, hagiographies ou réquisitoires suscités par la vie de JFK et de son clan. Comme il sait les mille théories, argumentées ou délirantes, échafaudées autour de l’assassinat — geste tragique du solitaire et paumé Lee Harvey Oswald, conspiration mafieuse, complot avec implication, au choix, des milieux financiers, de la CIA, de l’extrême droite américaine, du lobby pétrolier texan, du vice-président Lyndon B. Johnson, de Fidel Castro, du KGB… Dans ce fatras compliqué, où se mêlent les faits et les fantasmes, François Forestier a choisi l’hypothèse qui a sa faveur, mais là n’est pas l’intérêt majeur de son ouvrage. Où l’écrivain et journaliste, déjà auteur notamment d’un Marilyn et JFK (2008) saisissant d’âpreté, se ré-empare de toute l’affaire en quelque trois cents pages implacables et tranchantes.

A priori circonscrit à la seule journée du 22 novembre 1963, le récit savamment construit de François Forestier déborde en fait largement ce cadre temporel, pour replonger aux origines de la saga, mettre en scène la geste familiale des Kennedy — dans sa version la moins sanctifiée —, l’ascension irrésistible de John, les circonstances précises du 22 novembre et de l’attentat. Autour de la figure principale de JFK, Forestier installe ainsi une multitude de personnages secondaires, qui donnent à son livre l’ampleur d’une fresque précise, rapide, fiévreuse, grimaçante. Avec, en guise de décor essentiel, la ville de Dallas, microcosme infernal, fief d’un protestantisme intégriste qui jetterait volontiers aux flammes tout ensemble les Noirs, les catholiques, les communistes, les juifs, etc. Toile de fond d’un tableau plus que ténébreux, peuplé d’individus entrés dans l’Histoire mais ici ravalés à leur dimension la plus triviale, mus par le goût du pouvoir ou de la manipulation, la jalousie, l’âpreté au gain ou la pure et simple veulerie… Mus, aussi et surtout, par la haine, qui s’impose peu à peu comme le thème central du livre, l’objet d’une puissante méditation romanesque, aux accents presque théologiques. Le récit de Forestier, bien qu’essoré de tout sentimentalisme, empreint au contraire d’un réalisme féroce, rejoint alors, à sa façon, la sphère des interprétations mythiques de JFK, sa vie, sa mise à mort — héros magnétique et à jamais énigmatique auquel Mailer trouvait « l’air lointain et secret d’un homme qui a traversé un terrain ­solitaire d’expérience, de perte et de profit, de proximité de la mort, qui le laisse isolé de la masse ». — Nathalie Crom

 

(1) Cité par l’historien André Kaspi dans le très complet John F. Kennedy, Une famille, un président, un mythe, André Versaille éditeur, 350 p., 24,90 €.

 

Ed. Albin Michel 288 p., 19,50 €.

Autres livres

– Kennedy, Chronique d’un destin, de Jacques Lowe, éd. Gallimard, 256 p., 29,90 EUR. En images et en texte, le témoignage empathique du photographe officiel des Kennedy.

– Kennedy, Une vie en clair-obscur, de Thomas Snégaroff, éd. Armand Colin, 224 p., 19,90 EUR. Une synthèse biographique précieuse, très subtilement menée par un historien spécialiste de la vie politique américaine.

– John Fitzgerald Kennedy, de Frédéric Martinez, éd. Perrin, 354 p., 22 EUR. Un portrait biographique tout ensemble très documenté et sensible, mais un peu bavard, et cédant parfois aux clichés et aux afféteries stylistiques inutiles.

– Et aussi : On a tiré sur le président, de Philippe Labro, éd. Gallimard, 270 p., 20 EUR…

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