Jérusalem. Histoire d’une ville-monde

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Jérusalem. Histoire d’une ville-monde

« Jérusalem ne s’appartient pas, Jérusalem n’est pas à Jérusalem, Jérusalem est une ville-monde, une ville où le monde entier se donne rendez-vous, périodiquement, pour s’affronter. » Comment faire l’histoire de cette ville si singulière, dépassée par elle-même ? Quatre jeunes historiens se sont penchés sur la question… et y apportent une réponse trépidante et synthétique, « au plus près des cassures du temps et de l’esprit des lieux », avec des cartes et une chronologie — et accessible, de surcroît, en format poche. Aucune histoire urbaine globale, allant des origines à nos jours, n’existait jusque-là, tant le présent déchiré de Jérusalem a la force d’engloutir ou d’orienter tout son passé, tant la géopolitique a tendance à masquer la géographie ou à simplifier la topographie de la cité du Saint-Sépulcre. Alors que les vestiges archéologiques sont partout, Jérusalem, « fourbue d’identités », « démembrée par les revendications et les appropriations », est paradoxalement « un garde-mémoire, pas un lieu d’histoire », écrivent les auteurs en introduction à Jérusalem. Histoire d’une ville-monde. Une ville-monde qui est le lieu d’une fabrique millénaire de sacré, donc de prétendue éternité, rétive à l’histori­cité… Attention aux anachronismes : qu’elle soit babylonienne, perse, grecque, romaine, croisée, ottomane ou britannique (en 1917), avant la création de l’Etat d’Israël (en 1948), l’histoire de la Ville sainte, partagée par les trois monothéismes et visitée par des générations de pèlerins, emmène le lecteur bien loin d’une simple préhistoire du conflit israélo-palestinien. La polarisation communautaire, mise en concurrence des lieux saints, est un phénomène récent à l’aune des transformations de cette ville, faite de migrations et d’hybridations successives, qui est passée de l’âge des empires à l’âge des nations. Avant d’être une capitale revendiquée par deux peuples en guerre, Jérusalem fut une ville impériale, supranationale. Et une « municipalité interconfessionnelle » qui, à la fin de la longue période ottomane (1516-1917), sut peu ou prou réguler les conflits entre ses différentes communautés.

L’approche démographique est révélatrice : Jérusalem compte 10 000 habitants en 1800, 15 000 en 1850, 70 000 en 1914, et 800 000 aujourd’hui (soit 500 000 Juifs et 300 000 Arabes). Attentifs à de nouvelles archives administratives et à des sources locales dispersées dans le monde (au centre d’un projet de recherche international, Open Jerusalem, piloté par le directeur de l’ouvrage, Vincent Lemire), les auteurs montrent par exemple comment la partition traditionnelle de la Vieille Ville offerte aux touristes — quartier musulman au nord-est, chrétien au nord-ouest, arménien au sud-ouest et juif au sud-est — repose en fait sur une série de contresens historiques. Au final, l’histoire de Jérusalem, « carrière de pierres destinée à construire des mythes et à détruire des adversaires », réside dans cette superposition haletante entre « mémoire des morts » et « histoire des vivants », singulière partition où la « symphonie des origines » se mêle à la « cacophonie de la fin des temps ». Comme l’écrivait dans Lettrines Julien Gracq, ici cité en exergue, « Jérusalem, comète historique dont l’histoire se réduit presque à un long sillage enflammé, posée sur sa colline brûlée comme une fusée sur sa rampe de lancement — tant de furie d’éternité dans un si petit corps —, ville Pythie, ville épileptique, hoquetant sans trêve de la transe de l’avenir. » C’était en 1967, l’année de la guerre des Six-Jours. Cinquante ans après, l’avenir reste à écrire. — Juliette Cerf

 

Ed. Flammarion, coll. Champs Histoire, sous la direction de Vincent Lemire, avec Katell Berthelot, Julien Loiseau et Yann Potin, 544 p., 12 €.

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