Je me tuerais pour vous. Et autres nouvelles inédites

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Je me tuerais pour vous. Et autres nouvelles inédites

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A propos des nouvelles, grâce auxquelles il gagna sa vie et qui constituent l'essentiel de sa bibliographie — si on y inclut les récits autobiographiques, tels que La Fêlure, on en compte plus de cent quatre-vingts, pour seulement cinq romans, le dernier demeuré inachevé —, Francis Scott Fitzgerald (1896-1940) tenait volontiers des propos contrastés. « De la camelote », balaya-t-il avec dédain à plusieurs reprises, se plaignant en outre de ne prendre aucun plaisir à les écrire. Ce qui ne l'empêcha pas de confier également : « Toutes mes nouvelles sont conçues comme des romans, exigent une certaine émotion, une expérience particulière — ainsi mes lecteurs, si tant est que j'en ai, savent que chaque fois ils liront quelque chose de nouveau, pas dans la forme mais dans la substance. » Un commentaire livré à son agent, Harold Ober, dans une lettre datée de 1935, c'est-à-dire au coeur de la période où il écrivit la plupart des dix-huit textes, nouvelles ou ébauches de scénarios, demeurés à ce jour inédits et qui composent ce recueil aussi précieux qu'inattendu. « Fitzgerald marche sur la corde raide entre l'art et le commerce », note, dans la postface, l'universitaire Anne Margaret Daniel, éditrice américaine du volume. Résumant ainsi la situation bancale et déplaisante de l'écrivain en ces années 1930, alors que son aura, liée à des triomphes précoces (L'Envers du paradis, 1920, Les Heureux et les damnés, 1922), s'est estompée, et qu'il se retrouve tiraillé entre la nécessité prosaïque de voir ses histoires publiées et l'incapacité morale de se plier aux exigences de la littérature commerciale. C'est d'ailleurs, induit l'exposé d'Anne Margaret Daniel, la réticence de Fitzgerald à apporter des modifications à un texte original pour le voir ­accepté par telle ou telle publication (notamment le très populaire Saturday Evening Post, plus tard l'élégant ­Esquire) qui expliquerait l'existence de ces nouvelles jamais imprimées.

On y est très loin de la caricature qui continue de faire de Francis Scott Fitzgerald le peintre délicat de l'âge du jazz, des Années folles et de l'émancipation des flappers. Dans ces pages, on rencontre des femmes aux yeux verts, des couples qui s'aimèrent ­naguère et se défont, des amours naissantes qui semblent déjà contenir la promesse d'un délitement à venir. On y entend, plus ou moins distinctement, l'écho pérenne de la guerre encore si proche, qui a incrusté dans les âmes un désarroi moral déchirant. Il arrive que, remontant le cours du temps, on se retrouve au coeur d'un autre conflit, la guerre de Sécession, qui a creusé entre habitants du Nord et du Sud un abîme toujours béant. On y est mis ­régulièrement face aux effets ravageurs de la grande dépression. Corroborant les analyses de certains exégètes ­(notamment Roger Grenier, et son très beau Trois Heures du matin) qui insistent sur la dimension essentiellement autobiographique de l'oeuvre de Fitzgerald, on y décrypte des allusions à sa vie, à celle des siens — ainsi, notamment, le contexte psychiatrique dans lequel se déroule la nouvelle « Cauchemar : une fantaisie en noir », évoque-t-il les internements de Zelda, l'instable épouse de l'écrivain, tandis que les allusions multiples au milieu du cinéma et à Hollywood rappellent le temps et l'énergie que l'écrivain leur consacrait alors, à son grand dam.

Dans les meilleures parmi ces ­nouvelles, « Je me tuerais pour vous », ­­­­­­« Salut à Lucy et Elsie », « La perle et la fourrure »…, Fitzgerald instille ce mélange d'ironie cruelle, de profonde mélancolie et de vraie âpreté qui est son climat de prédilection. Il nimbe aussi ces histoires d'une in­tangible mais prégnante sensation de précarité, de déséquilibre, sorte de prescience d'un désastre inévitable, qui contribue au caractère secrètement poignant de toutes ses fictions, nouvelles ou ­romans, et les extirpe toujours du réalisme banal. Mais la quintessence de l'art de Fitzgerald se manifeste sans doute dans ces si nombreux fragments de prose qui, tout à coup, semblent échapper à la narration, surgir de la page et se cristalliser, pour imprimer durablement sur la rétine ou l'esprit du lecteur une image, une sensation, une intuition — ainsi du sourire en coin d'une jeune femme, « pareil à une ­petite falaise blanche », des gratte-ciel new-yorkais « étincelant sous le soleil comme de pâles bulles de limonade dans le bleu du ciel », ou encore d'une jeune fille de retour d'un long voyage à l'étranger, et dormant « si profondément qu'on pouvait lire le rêve de ces contrées lointaines sur son front ». — Nathalie Crom

 

I'd die for you. And others lost stories, traduit de l'anglais (Etats-Unis) par Marc Amfreville, coéd. Grasset/ Fayard, 480 p., 23 €.

Extrait

 

 

« Elle s'assit avec Delannux sur le bord d'un radeau qu'on avait tiré sur la plage tandis que le coucher de soleil éclatait en d'innombrables pièces de puzzle roses qui se dissolvaient dans le noir, à l'ouest. "Etrange de voir comme les choses vont vite aujourd'hui, dit Delannux. On a à peine fait connaissance, et déjà on se retrouve assis au bord d'un lac…"

 

 

Il ne perd pas de temps, se dit-elle.

Mais son ton détaché la désarma, et elle le regarda de plus près. Pas vraiment extraordinaire, mais il avait de grands et beaux yeux. Le nez un peu tordu, ce qui lui donnait un air amusé d'un côté, sardonique de l'autre. Mince, il avait de longs bras et les mains robustes… »

 

Extrait de la nouvelle « Je me tuerais pour vous ».

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