Hermine blanche

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Hermine blanche

Ecorchées, tragicomiques, en plein dans le mille, ces nouvelles ressemblent à des sketchs de Zouc. Même funambulisme sur le fil de la folie, même recroquevillement dans les limbes. On les lit avec l’oreille et le grain de la peau. Elles ont un fort accent, celui de l’enfance et sa candeur omnisciente. Les héros sont pourtant de grandes (et belles) personnes, la plupart du temps. Mais leurs pensées lévitent, brumeuses et aux aguets, comme au temps de l’expédition foetale. Ils tremblent à l’idée qu’avancer signifie renoncer, êtres en transformation déchirants, contraints d’abandonner un petit confort pour une grande insécurité. Parce qu’il y a bien un jour où il faut quitter l’école, coucher, travailler, mourir, et que ce n’est jamais tout à fait comme on nous avait dit quand on était petit.

Noëlle Revaz écrit au style direct, collée au timbre de voix de ceux qui racontent, dans une urgence affolée. Humour, violence et radicalité traversent toutes ses histoires, en prise sur un réel collectif qui donne le vertige. L’auteure s’intéresse au groupe, entité morcelée et fédératrice, gouffre et tremplin. Ainsi, la magistrale première nouvelle du recueil (« Les Enfants ») dresse la liste des consignes laissées par un couple après la désertion définitive de l’orphelinat qui était à sa charge. Monsieur et madame Morceau ont tout prévu pour que les enfants, poursuivis par leur destin d’abandonnés, puissent construire une micro-société adaptée à leur soudaine autonomie. Et surtout, leur ficher une paix royale : « Vous avez pris notre temps, nous nous sommes à vous consacrés, vous êtes du grain qui s’envole. Désormais, il nous est égal de savoir que vous existiez. » Le livre est plein de paroles pareilles, à double fond et à l’emporte-pièce, qui pincent avant de révéler leurs abysses.

Plus loin, dans la nouvelle qui donne son titre à l’ensemble, « Hermine blanche », une fillette voit son esprit s’échapper de son corps, occasionnellement, pour commencer, puis définitivement. L’enveloppe corporelle de la gamine finit par devenir phénomène de foire, dans une bulle où flottent des flocons de neige. Mais son âme est ailleurs, loin de la foule, heureuse de s’ébrouer en toute liberté. D’une imagination folle, Noëlle Revaz réinvente le quotidien en le dynamitant de sa turbulente lucidité. C’est certain, on lui demandera régulièrement de ses nouvelles, à cette Helvète décapante et enchanteresse. — Marine Landrot

 

Ed. Gallimard, 280 p., 18 €.

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