Faux Papiers

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Faux Papiers

L'irruption d'un écrit de Paul Nizon met toujours en joie, comme l'arrivée de nouvelles d'un être cher qui ressurgit après une longue disparition. Voilà plus de six ans qu'est paru son journal de la décennie 1990-1999, Les Carnets du coursier. Et presque dix ans qu'il a écrit son dernier roman, La Fourrure de la truite. Journal, roman, l'homme ne fait pas de différence. Ce sont les mêmes gouttes de son sang qui remplissent les pages, la même « fuite de cerveau », le même total don de soi. L'année de ses 12 ans, après la mort de son père et une déception amoureuse destructrice, Paul Nizon (né en 1929) s'est retranché dans une vie intérieure foisonnante, d'où a jailli sa vocation : il allait consacrer son existence à retranscrire la réalité de sa conscience dans ses menus détails, avec ses con­tradictions et ses envolées. Paul Nizon fait donc partie de ces tisseurs d'œuvre assidus, entiers, imperméables aux modes que sont Hélène Cixous, Char­les Juliet ou Patrick Modiano.

Le journal qu'il dévoile aujourd'hui court entre 2000 et 2010. Comme dans tout son travail, de romancier ou de diariste, l'écriture conduit le bal, avec de longues phrases volcaniques et analytiques, ce mélange d'urgence et de distance, trois pas dans la vie, trois pas dans la tombe. Paul Nizon égrène les décès qui se multiplient autour de lui, et continue de se tenir debout comme un arbre qui perd ses feuilles. Preuve suprême de l'absence de cloison entre ses oeuvres, voilà que nous revient en mémoire l'errance de son héros, son double, au début de L'Année de l'amour, l'un de ses plus grands romans peut-être : « Je me rends compte à présent que je suis au milieu d'une assemblée de défunts, à moins que ce soit moi le défunt parmi les vivants. »

Consignées chaque jour comme si elles venaient d'éclore, ses obsessions de toujours exposent leurs reflets changeants, tour à tour sombres ou éblouissants : les réminiscences de l'Italie, où Paul Nizon découvrit son « côté barbare » à l'âge de 20 ans, la force nourricière et sensuelle des femmes, sa passion pour Van Gogh, Robert Walser, Elias Canetti, Georges Perec, John Cassavetes, Abel Ferrara… Et toujours ce sens du hasard, de la rencontre éphémère, qui infléchit le cours des pensées, sculpte l'intuition et rapproche de la vérité intérieure : une déesse sculpturale aperçue dans les transports en commun, un Arabe déplaçant des cartons de légumes devant son épicerie. Un terrible sentiment de solitude s'empare souvent de celui qui se définit comme un « vieil­lard confit dans ses idées et ses conceptions ». Pourtant, ce journal est tourné vers l'extérieur, comme aimanté par les yeux qui le parcourent. « Je ne re­cher­che pas la communauté, je recher­che parfois la société et l'amitié comme une halte sur ma route ou comme un ravitaillement », écrit l'auteur, le soir de Noël 2001.

Paul Nizon revendique la marginalité comme le silence, indispensables à sa quête introspective, mais il y a chez lui un sens caché de l'autre qui rend son oeuvre très lumineuse, offerte à tous. Un jour d'été 2005, un douanier de Roissy lui a demandé son passeport alors qu'il se trouvait dans l'espace Schengen. C'était pour vérifier qu'il s'agissait bien de l'écrivain qu'il aimait tant. Racontée brièvement en bas de page, l'anecdote soutient tout le livre, que l'auteur a peut-être appelé Faux Papiers en hommage à cet admirateur inattendu. Il y a chez tout le monde un lecteur de Nizon qui sommeille.

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