Déserteur

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Déserteur

Il n’a plus de nom, rien qu’un matricule. Dans sa cellule glacée, le jeune prisonnier crève de solitude. Pour ne pas sombrer, il reste les souvenirs, ceux d’avant l’armée et la désertion. Une jeunesse ordinaire, dans un village du nord de la Turquie, proche de la frontière arménienne, dans les années 1970. Des années ardentes, passées, entre un père kémaliste et une mère chamane, à rêver de films hollywoodiens et à se battre pour être le seul à arpenter la rue où vit la belle de ses pensées. Mais aux abords du village rôdent les « sans-visage ». Contraints de porter une cagoule et de vivre dans les bois pour veiller sur la frontière, ces jeunes appelés turcs deviennent des automates, des machines à tirer sur tout ce qui bouge…

Rarement la désintégration d’un homme, d’une famille et, au-delà, de toute une société, a été aussi intensément mise en scène. Premier volet d’un triptyque que Halfdan Pisket (né en 1985) consacre à l’histoire de son père, Déserteur est une oeuvre à la première personne, âpre et puissante. Non seulement le jeune dessinateur danois est parvenu à se glisser dans les souvenirs douloureux de son daron, mais il a aussi su en faire une oeuvre cathédrale. Profondeur, émotion, rythme, onirisme, cohérence, nombre d’or et grain de folie : rien ne manque. Et le dessin n’est pas en reste. De ce noir et blanc somptueux, où le trait semble fait au scalpel, jaillit une lumière crue, qui écrase visages et paysages, et confère aux ombres une densité mystérieuse. Il y a du Pratt dans cette façon de découper l’image, de figurer la lune ou de saisir au vol la beauté d’une femme. La Turquie, quant à elle, n’en sort pas grandie. Pauvre et grand pays qui semble depuis longtemps n’avoir d’autre horizon que le pouvoir absolu, le nationalisme bas du front et la répression. — Stéphane Jarno

 

Desertør, traduit du danois par Jean-Baptiste Coursaud, éd. Presque Lune, 104 p., 18 €.

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