Des femmes remarquables

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Des femmes remarquables

Il s’en est fallu de pas grand-chose, de presque rien, pour que jamais ni son nom, ni son oeuvre ne traversent la Manche. Qui sait même ce qu’il serait advenu de sa postérité chez elle, en Grande-Bretagne, si… Mais reprenons depuis le début : romancière à succès dans les années 1950, Barbara Pym (1913-1980) était entrée, au cours de la décennie suivante, dans une sorte de trou noir. Adressant le manuscrit de son septième roman à son éditeur, elle reçut un refus aussi inattendu que définitif. Cherchant une autre maison où être publiée, elle frappa à plusieurs portes, sans qu’aucune ne s’ouvre, et finit par encaisser cette gifle : « Nous pensons que votre roman est très bien écrit, mais qu’il a quelque chose de démodé. » Ce fut « une sensation affreuse et humiliante, d’être ainsi totalement rejetée », a-t-elle avoué plus tard. Décrétée ob­solète, indésirable. Invisible, Barbara Pym le demeura jusqu’en 1977, date à laquelle, dans le supplément littéraire du Times, le très influent poète Philip Larkin l’honora du titre d’« écrivain le plus sous-estimé du xxe siècle ». La traversée du désert s’achevait enfin, Barbara Pym retrouva un éditeur et, quel­ques années plus tard, le lecteur français fut invité à son tour à goûter, et forcément à succomber, au charme subtil et piquant de cette Anglaise pur jus (1) . La classe moyenne britannique est le biotope auquel s’est exclusivement consacrée la romancière, dans des fictions (Jane et Prudence, Moins que les anges, La douce colombe est morte, Crampton Hodnet…) où l’intrigue, résolument réduite, est avant tout au service d’une observation méticuleuse du comportement des personnages, femmes et hommes ordinaires aux prises avec des situations sentimentales ou domestiques qui le sont tout autant. Des individus sans éclat ni disgrâce particuliers, dont les gestes, les attitudes, les sentiments témoignent des moeurs et des usages de leur temps, tout en touchant finement à quelque chose de plus intemporel : tout simplement, le métier de vivre, d’espérer, d’aimer, d’accepter la solitude, d’être heureux parfois, d’encaisser souvent les désillusions et les défaites.

En cet art dans lequel, depuis Jane Austen, les romancières anglaises n’ont cessé d’exceller, Barbara Pym se révèle l’une des plus affûtées — avec elle, la grande Ivy Compton-Burnett, Elizabeth Taylor, les plus graves Rosamond Lehmann et Elizabeth Goudge (2) , ou encore, plus récemment, Anita Brook­ner… De toutes, Pym est la plus méthodique. Elle n’hésitait pas à comparer l’étude au long cours qu’elle menait sur cette partie de la société britannique qu’elle avait choisie pour objet à un travail d’anthropologue. Travaillant, pour gagner sa vie, à l’International African Institute de Londres, elle avait appris, expliqua-t-elle, au contact de l’anthropologie et de ses méthodes, qu’« il était possible et même essentiel de cultiver, vis-à-vis de la vie et des gens, une attitude détachée et objective ». Le travail du romancier ne pouvait que tirer profit de cette distance, où se glisse en outre cet autre ingrédient qui fait tout le sel de ses livres : une certaine forme d’ironie essorée de toute méchanceté — « elle est intelligente, spirituelle, subtile, drôle et sérieuse en même temps ; irrévérencieuse mais toujours respectueuse de ses personnages », analyse ainsi Joyce Carol Oates, qui compte parmi ses admirateurs.

Paru en 1952 et considéré par les lecteurs britanniques comme son meilleur livre — en France, on lui préfère souvent le plus dramatique Quatuor d’automne (1977) —, Des femmes remarquables témoigne de la pertinence de chacun des adjectifs dont Oates la gra­tifie. On y prend part, le temps de quelques mois, à la vie de Mildred Lathbury, une femme de 30 ans, célibataire et prête (du moins en apparence) à le demeurer pour toujours sans en éprouver de détresse. Mildred soudain troublée par l’arrivée, dans l’immeuble londonien où elle habite, d’un couple dont l’époux ne la laisse pas indifférente. « Ma chère Mildred, vous ne devez pas vous marier […]. La vie est bien assez déconcertante sans qu’on aille émettre des hypothèses aussi inquiétantes. Vous m’avez toujours fait l’effet d’une femme si équilibrée, si raisonnable, une femme admirable… » lui glisse un ami lors d’une conversation. Renforçant le trouble de Mildred, héroïne fine et sage, modeste mais jamais falote, simple mais jamais médiocre — femme caractéristique de l’univers faussement pittoresque, tout en délicatesse de cette Mrs Pym en compagnie de qui on passerait volontiers l’été… — Nathalie Crom

 

(1) Un brin de verdure, Une demoiselle comme il faut et La douce colombe est morte sont disponibles en poche chez Christian Bourgois, Adam et Cassandra chez Rivages poche.

(2) Pour découvrir Elizabeth Goudge, on lira Le Domaine enchanté, qui paraît ces jours-ci aux éditions Mercure de France.

 

Excellent Women, traduit de l’anglais par Sabine Porte, éd. Belfond, coll. Vintage, 316 p., 17 €.

Plus excentrique, plus acide,plus cruel, le prolifique E.F. Benson (1867-1940) a produit une série de six romans satiriques, ancrés dans une campagne anglaise plus verte que nature et centrés sur les notables de province, dont il s’emploie à moquer le snobisme, l’arrogance, l’hypocrisie, l’idiotie maquillée de feinte sophistication. Emmeline Lucas, alias Lucia, et miss Elisabeth Mapp sont les deux personnages majeurs, et récurrents, de Mapp & Lucia, fresque franchement, irrésistiblement, férocement drôle, dont les trois premiers volets (Queen Lucia, Miss Mapp et Lucia à Londres) sont regroupés dans ce gros opus – les trois suivants paraîtront dans un autre volume en novembre.

 

Traduit de l’anglais par Yves-Marie Deshays et Patrick Micel, éd. Payot, 958 p., 20 EUR.

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