Bonaparte

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Bonaparte

Encore lui ? Revoici Napoléon Bonaparte, première période, dans un volume de quelque huit cents pages – qui court jusqu’à 1802. Sait-on tout de lui ? En tout cas, on en a beaucoup dit. Et c’est la vertu de cette grande biographie que de trier dans la légende, de passer le mythe au tamis des faits vérifiables, d’éplucher l’épopée. D’entrée de jeu, l’historien Patrice Gueniffey lance une réflexion sur la biographie d’un tel homme, exposant les pièges que tend cet exercice, les écueils que constituent tant l’hagiographie que l’approche systématiquement critique. Une biographie de Bonaparte poursuit-elle l’objectif d’évacuer le personnage pour privilégier l’époque qui fut la sienne – fin de la Révolution et début du xixe – ou doit-elle affirmer qu’il la domine, qu’il l’habite de tout son génie et de toute son audace ? On devine, au ton des premières pages, un peu d’insolence facétieuse chez Patrice Gueniffey, une manière de mettre les choses à plat : point d’étude exclusivement sociale ou politique qui noierait Bonaparte, mais Bonaparte d’abord, autour duquel, il est délicat de le contester, les événements s’agrègent.

L’auteur dispose d’emblée les bor­nes de son magistral travail et prend Bonaparte à bras-le-corps, car c’est bien de lui qu’il s’agit dans ces années riches et tourmentées. Le rappel de la succession des événements n’est pas inopportun : formation, batailles, consulat, re-batailles… Les faits ne peuvent démentir ce sur quoi s’est bâtie la légende : l’histoire d’un petit lieutenant qui, en une poignée d’années, devint empereur. L’homme, donc ! Le physique ? ­Petit, pâle, il n’impressionne pas. Mais voilà : on ne peut ignorer, écrit Gueniffey, « ce qu’il y a d’inouï » dans l’histoire de Bonaparte, self-made-man ambitieux, petit Corse grimpant les plus hautes marches du pouvoir.

Pourtant, l’historien ne dessine pas un portrait à la hussarde : il observe les moments d’attente, les périodes de doute. L’ennui aussi, qui étreint un gamin envoyé tôt sur le continent, en 1778, alors qu’il a 19 ans, pour intégrer le collège militaire de Brienne. Les pages sur la Corse, précisément, sont très instructives. La politique, telle qu’elle sévissait alors dans cette île pauvre, était complexe, les partis se déchirant pour savoir quel chemin choisir entre l’indépendance et la soumission à la France. Corse, Bonaparte le resta, jusqu’au moment où il opta aussi pour la patrie mère — du moins la nation révolutionnaire, susceptible de le conduire où il voulait. Et il voulut vite — les grades, les promotions, les victoires et les conquêtes —, observant à distance les luttes fratricides des révolutionnaires, mais adoptant les nouveaux principes qui lui permettaient de rejeter ceux de l’Ancien Régime.

Les récits de la fameuse victoire de Toulon (1793), la campagne d’Italie (1796-1797) et plus encore celle d’Egypte et ses carnages (1798-1799), montrent à quel point Bonaparte profite alors de la Révolution et de l’opportunité d’abattre les traditions. Entre les témoignages des contemporains et les sources plus solides, Gueniffey tient l’équilibre entre « l’authentique » et « le vraisemblable », ne cédant jamais au portrait complaisant, mais montrant un Bonaparte qui va vite, gagne en notoriété, devient rapidement général. Volontiers cassant, ne consultant que pour décider seul, penché sur ses cartes et misant souvent sur la seule fortune des armes. Un militaire impatient, sûr de lui, agacé par un pouvoir politique trop hésitant à son goût, brocardant le Directoire et agissant avant même d’en obtenir l’aval. Kléber, qui ne le portait pas dans son coeur, admettait que la qualité de cet « homme extraordinaire » était « d’oser et d’oser encore ».

On sait que, par la suite, Bonaparte devenu Napoléon osera beaucoup. Trop ? Un peu de patience… Pour l’instant, savourons le premier tome de cette biographie passionnante, sur un personnage qui, comme l’écrivit Mme de Staël, rendit « l’espèce humaine anonyme en accaparant la célébrité à lui seul ».

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