Au commencement du septième jour

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Au commencement du septième jour

Dans la Genèse, « au commencement du septième jour », Dieu chôma, dit la Bible. Six jours durant, il avait créé l'Univers ; il venait de l'achever par un homme et une femme à son image. Il avait trouvé cela très bon, et décidé de se reposer. Mais pour faire quoi, dans ce monde neuf ? Au commencement du septième jour — puisque c'est le titre de son douzième roman, expression égarée au coeur d'une périlleuse balade dans les Pyrénées —, que fait donc l'écrivain créateur Luc Lang ? Ou plutôt, que suggère-t-il à son héros, Thomas, en ce moment montagnard apparemment vide, où tout serait possible ? Et Luc Lang trouve-t-il lui aussi très bon ce trentenaire sous pression, chahuté par tant d'histoires qu'il ne domine pas, ne connaît même pas ? A moins que le titre, elliptique et prométhéen à la fois, signifie que tous les personnages — Thomas, mais aussi Camille, Jean, Pauline — aient aussi décidé d'arrêter. De chômer. Comme Dieu. Pour enfin trouver le calme, la paix, le repos.

On ne saura pas. L'ultime opus en date, et le plus abouti, de l'auteur de Mother se referme sur ses mystères. On ne saura pas de quoi Camille est morte, elle qui semblait se remettre d'un long coma après son accident de voiture. Ou tentative de suicide ? On ne saura pas non plus ce qu'allait faire en pleine nuit, sur cette route de campagne, cette très secrète mère métisse de deux jeunes enfants — Anton et Elsa ; épouse de plus en plus distante de Thomas et brillante femme d'affaires. Sa disparition ne sera mentionnée que brièvement au fil des trois « Livres », des trois voix (Thomas, Jean, Pauline), des trois mouvements qui structurent l'ouvrage, tout musical aussi. Le nerf en est quand même l'enquête — ou plutôt la quête — de Thomas, le mari ingénieur numérique. Il vient de découvrir un système ultra performant, et ultra rentable, pour contrôler le temps de travail de certains salariés. Tout occupé qu'il est à développer son entreprise, il a laissé se distendre les liens avec Camille, hyperactive elle aussi, et que continue de ronger un amour d'adolescence qu'elle ne lui a jamais confié. On se confie peu, dans Au commencement du septième jour. Même la belle-mère magistrate de Thomas peine à lui expliquer sa passion pour l'avocat californien noir qui fut le géniteur de Camille. Les sentiments, les réflexions même, se révèlent autrement que par le langage. Le professeur d'esthétique qu'est Luc Lang organise ses mots en une composition sensorielle, où le rythme, le flux à peine ponctué des phrases comptent autant que leur sens. Ici on entend, on voit, on vit les personnages comme en temps réel, tout autant qu'on les lit. L'écriture épouse leur respiration. D'où l'étonnant compagnonnage, l'étrange expérience qui se nouent entre eux et le lecteur. Avec Thomas, mais aussi Camille, et Jean et Pauline, le frère et la soeur aînés, que Thomas voit peu. Jean, ingénieur agronome soixante-huitard, a fui un libéralisme destructeur dans l'élevage de brebis familial des Pyrénées. Pauline, médecin, est partie au Cameroun soigner une population abandonnée aux corruptions politiques, et menacée par l'islamisme. Les cancers de notre société affleurent en permanence le long de ces cinq cent cinquante pages électriques. Luc Lang ne les fuit pas.

Il a toujours osé. Côté forme et fond. Réécrire un de ses livres (La Fin des paysages) comme les grands maîtres reprenaient leurs tableaux ; essayer un roman shakespearien (Mille Six Cents Ventres) ; flirter avec la tragédie grecque (Furies). Mais traiter du dénuement des exclus d'aujourd'hui, aussi (Voyage sur la ligne d'horizon), faire roman du 11 septembre 2001 (11 Septembre mon amour) et du destin de sa mère (Mother). Tout chez lui devient « sujet » au sens quasi plastique du terme, et tous les modes d'expression y sont bons. C'est que Luc Lang ne cherche pas à tout montrer, encore moins expliquer. Malgré l'épaisseur de son dernier volume, il aime l'ellipse, l'inachèvement des êtres qu'il dessine en points de suspension. Comme si chaque existence pouvait devenir autre. Comme s'il n'y avait pas de fatalité. Jean et Pauline ont recommencé leur vie ailleurs, loin dans la montagne, loin en Afrique. Au commencement du septième jour pourrait être un livre joyeux.

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La confrontation avec la nature, l'environnement a en effet ici quelque chose de vital et magique. L'auteur de La Fin des paysages excelle à nous immerger dans les ailleurs, pyrénéens comme africains. Pour se reconstruire après la mort de Camille, Thomas, éjecté de son entreprise, part en voyage de reconquête — de soi, de son passé — auprès de Jean (Livre 2) et Pauline (Livre 3). Il y trouvera une sorte de paix. Ou au moins de pleine conscience du monde et d'attention aux autres, enfin. Luc Lang écrit à l'extrême des perceptions, des sensations. Ainsi son roman, par sa saisie immédiate de l'instant, de la beauté des choses, de l'écoulement du temps, devient une forme d'intelligence du monde. A la manière de Jean Giono, quand il émerveille. Ou de Georges Bernanos, quand il inquiète. Luc Lang se sert des mots comme un peintre de ses couleurs. Peu importe alors de savoir les secrets de personnages devenus compagnons. Luc Lang peut chômer, comme Dieu. Au commencement du septième jour est très bon. — Fabienne Pascaud

 

Ed. Stock, 544 p., 22,50 €.

Les premières pages

 

 

« … c'est elle qui raccroche ? Qui lui raccroche au… Il appuie fébrilement sur la touche rappel, mais c'est un numéro privé. Il essaye d'appeler son portable. Qui est éteint, il tombe de suite sur la messagerie. C'est mort, elle ne répondra plus. Pas ce soir, nom de Dieu, pas ce soir… Elsa vient de glisser la tête par la porte de sa chambre, sa longue chevelure bouclée submerge son visage : Vous vous êtes disputés ?… Mais non, ma puce, t'inquiète pas. Lorsqu'il songe maintenant à l'effondrement intérieur qu'il a soudain éprouvé, il se demande s'il avait alors l'intuition d'une dérobade aussi définitive. L'image qui s'impose à présent est plus minérale, plus narrative, celle d'un à-pic, il la tient encore par la main, elle se débat, suspendue dans le vide, il ne lâchera pas, mais l'épuisement gagne, leurs mains se dénouent, elle va disparaître dans l'abîme, il demeurera seul, musculairement coupable de n'avoir pu la hisser, coupable et vaincu. »

 

 

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